LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 février 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 413 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société La Noé père et fils par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-626 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993 relative à la partie législative du livre III (nouveau) du code rural.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ;
- la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993 relative à la partie législative du livre III (nouveau) du code rural ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, enregistrées le 15 février 2017 ;
- les observations présentées pour la caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire, partie en défense, par la SCP Bertrand-Radisson-Brossas, avocat au barreau d'Orléans, enregistrées le 23 février 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 février 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Frédéric Rocheteau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Philippe Bertrand, avocat au barreau d'Orléans, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 avril 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 1993 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le redressement et la liquidation judiciaires des exploitations agricoles sont régis par les dispositions de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises. Pour l'application des dispositions de la loi précitée, est considérée comme agriculteur toute personne physique exerçant des activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 ».
2. Selon la société requérante, ces dispositions, combinées avec celles de l'article L. 626-12 du code de commerce, créeraient une différence de traitement injustifiée quant à la durée du plan de sauvegarde applicable aux agriculteurs entre les personnes physiques et les personnes morales. Elles seraient donc contraires au principe d'égalité devant la loi.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. L'article L. 626-12 du code de commerce prévoit qu'en principe la durée du plan de sauvegarde ne peut excéder dix ans. Par exception, cette durée est portée à quinze ans lorsque « le débiteur est un agriculteur ».
6. La seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime se borne à préciser dans quel sens doit être entendu le terme « agriculteur » pour l'application de la loi du 25 janvier 1985 mentionnée ci-dessus. Depuis la codification des dispositions de cette loi au livre VI du code de commerce, la définition prévue à l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime s'applique aux dispositions de ce livre, en particulier à l'article L. 626-12 mentionné ci-dessus. Cette définition ne crée, en elle-même, aucune différence de traitement entre les agriculteurs personnes physiques et les agriculteurs personnes morales. La différence de traitement alléguée par la société requérante, à supposer qu'elle existe, ne pourrait résulter que de l'article L. 626-12 du code de commerce, qui n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel. Dès lors, le grief dirigé contre la seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime doit être écarté.
7. La seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclarée conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993 relative à la partie législative du livre III (nouveau) du code rural, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 avril 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 28 avril 2017.